Le droit de la consommation

Par Claude Masse

Le droit de la consommation est constitué de l’ensemble des mesures de protection juridique intervenant dans les relations contractuelles entre, d’une part, un particulier qui se porte acquéreur d’un bien ou d’un service pour des fins de consommation personnelle et, d’autre part, une entreprise commerciale, qu’il s’agisse d’un fabricant, d’un détaillant, d’un prestataire de services ou d’un autre opérateur.

Protection juridique
Il y a tout lieu de relever d’abord que le droit n’est pas le seul moyen de protéger le consommateur. C’est une réalité que même le juriste ne doit pas perdre de vue. L’information, l’éducation et le regroupement des consommateurs en mouvements de pression et d’autodéfense peuvent constituer dans certains cas des moyens autrement plus efficaces et moins coûteux pour la société. Le recours systématique au droit comme solution aux problèmes des consommateurs a marqué jusqu’ici toute l’évolution dans ce domaine. Les législateurs canadien et québécois ont en effet adopté plus de 225 lois et plusieurs milliers de textes réglementaires qui visent tous, d’une façon ou d’une autre, à protéger le consommateur. Il s’agit là d’une stratégie d’intervention sociale fondée sur une approche curative qui équivaut à agir seulement lorsque le problème est posé. Ce choix de politique sociale est de plus en plus mis en doute. Il apparaît maintenant que seul un certain nombre de problèmes, probablement une minorité, peuvent trouver une solution par la mise en place d’institutions juridiques, et qu’il vaut mieux dans certains cas, pour des motifs économiques évidents, insister sur une approche préventive en augmentant le niveau d’information et de conscience des consommateurs. C’est là une des conclusions qui ressort des enquêtes sur les besoins de protection des consommateurs.

Relation contractuelle
Le droit de la consommation est tout entier fondé sur l’institution juridique que constitue le contrat, que ce dernier soit verbal ou écrit. Cela ne veut pas dire que les seules mesures de protection juridique des consommateurs sont d’ordre contractuel mais qu’il n’y aurait pas de droit de la consommation sans contrat. La montée de l’intérêt pour le droit de la consommation est indissociable de l’importance de plus en plus grande dans notre société du contrat comme moyen d’échange ou de transmission des biens et des services. Il n’en a pas toujours été ainsi. La société québécoise des 18e et 19e siècles était marquée par un mode d’échange et de transmission des biens et des services fondé sur le don. Par exemple, sur l’obligation alimentaire que se doivent les membres d’une famille, les donations entre vifs et les transmissions par voie de succession. Les besoins de l’individu étaient alors satisfaits en grande partie par son milieu familial. La famille québécoise tendait à cette époque à être une unité de production et de consommation autarcique, c’est-à-dire auto-suffisante. Le contrat n’y occupait que peu de place. Ce qui comptait, c’était le statut des individus. Les membres de la famille ne passaient à peu près pas de contrats entre eux et seuls les apports économiques extérieurs, fort limités dans la plupart des cas, se traduisaient par des relations contractuelles. Pour ce qui est des contrats usuels comme le contrat de mariage et le contrat de vente d’immeubles, leur rareté et leur solennité confirme bien que le contrat n’était pas à cette époque un véritable véhicule d’échanges de biens et de services dans la vie quotidienne. Il n’est donc pas étonnant que l’on ne se soit pas beaucoup préoccupé alors des effets pernicieux du contrat. L’apparition et le développement tardif de la société industrielle au Québec viendront changer tout cela. Les apports économiques extérieurs à la famille seront multipliés presque à l’infini. Le contrat deviendra peu à peu la forme dominante d’échange de biens et de services à l’intérieur de notre société et avec lui apparaîtront tous les problèmes causés par le fait de relations inégalitaires entre les contractants sur le marché commercial ou sur le marché du travail. Ce n’est donc pas par hasard que les interventions du droit de la consommation
apparaîtront de plus en plus nombreuses à partir seulement de la deuxième moitié du 20e siècle.

Le droit de la consommation s’est donc élaboré à partir du droit des contrats. Il contient des mesures de protection qui visent les trois stades de la relation contractuelle: la phase précontractuelle marquée par la publicité et l’instauration de normes visant la saine concurrence entre les commerçants et qui a des effets sur les contrats de consommation; la phase de la passation du contrat qui s’intéresse à l’information et au formalisme contractuel et, enfin, la phase de l’exécution du contrat où l’on se préoccupe du contrôle de la qualité des biens et des services.

Les biens et les services
On aurait tort, comme on l’a fait souvent, de limiter le droit de la consommation aux seuls biens mobiliers que sont, par exemple, l’automobile ou les appareils ménagers. Les revendications des consommateurs sont certes apparues dans les sociétés occidentales d’abord à propos de la qualité et de la sécurité de certains biens mobiliers. Il n’y avait pas de raison toutefois pour ne pas étendre la problématique véhiculée par la protection du consommateur aux autres secteurs de la consommation, comme les secteurs des services et de l’achat d’immeubles, où la vulnérabilité des consommateurs est tout aussi présente lorsqu’elle n’est pas plus flagrante.

Le législateur n’a pas craint d’intervenir dans ces secteurs à l’aide des mêmes techniques de protection qui prévalaient en matière mobilière. Le droit de la consommation n’est donc pas limité, a priori, par le type de biens ou de services sur lesquels porte le contrat, mais bien, comme nous le verrons, par la nature des parties. Le droit de la consommation n’est pas non plus confiné au secteur privé. Le gouvernement, lorsqu’il prend le rôle de fournisseur de biens et de services par voie de contrats, comme il le fait lors de la fourniture d’électricité ou d’alcool, devient l’un des sujets du droit de la consommation. Il faut bien sûr écarter de notre champ d’intérêt toutes les mesures d’aide sociale où les biens et les services fournis par le gouvernement ne le sont pas par voie contractuelle. C’est le cas, par exemple, des prestations aux accidentés du travail, de l’administration de la justice ou des programmes de subventions.

Un particulier
C’est l’individu, et à travers lui, ses proches et sa famille, que le droit de la consommation entend protéger. Il constitue la partie la plus faible dans le contrat de consommation, ou à tout le moins est présumé comme tel puisqu’il n’a ni les connaissances techniques ni les pouvoirs économiques de la société commerciale ou du commerçant avec lesquels il contracte. Ce choix du particulier exclut tous les autres. En règle générale, la société commerciale et toute personne morale ne peuvent se prévaloir de la protection spéciale accordée par la loi aux personnes physiques. On présume, en vertu des principes du droit commercial, que la personne morale n’a pas le statut de consommateur, même lorsqu’elle est partie à un contrat dans le but de se procurer un produit de consommation courante qui n’entre pas directement dans le cadre de ses activités commerciales ou industrielles.

Ainsi donc, le type de contrat passé n’y fait rien. Ce qui importe pour intéresser le droit de la consommation, c’est la personnalité du contractant, son statut. La personne morale est présumée posséder la force économique et les connaissances suffisantes pour assumer seule sa propre protection. Cela ne manque pas d’être une fiction dans plusieurs cas. Cette discrimination opérée entre personnes physiques et personnes morales par la plupart des lois applicables à la consommation demanderait à être réexaminée. On a peut-être présumé trop vite que le seul statut corporatif confère une vocation de commercialité à la personne morale, ce qui lui enlève par le fait même le statut de consommateur. Le nombre de plus en plus grand d’organismes dotés d’une personnalité morale, mais qui sont constitués pour des fins non lucratives, par exemple dans un but éducatif, charitable ou artistique, devrait peut-être pousser le législateur à faire une exception en faveur de ces dernières.

Pour des fins de consommation personnelle
Être un particulier ne suffit pas. Un particulier peut agir à titre de commerçant, et ce, même s’il ne jouit pas du statut d’une personne morale. Pour tirer avantage de la protection accordée par le droit de la consommation, le particulier doit se procurer des biens ou des services pour des fins de consommation personnelle et non pas un but de revente, de spéculation ou de production industrielle. Cette règle soulève tout le débat fort controversé des critères de commercialité. Qu’il suffise de noter ici que le particulier, lorsqu’il passe un contrat pour des fins commerciales, est exclu du bénéfice de la protection de la plupart des lois de consommation.

Un contrat passé avec une entreprise commerciale
La notion d’entreprise commerciale est entendue ici au sens large et englobe non seulement ceux que l’on désigne de façon familière comme des commerçants, mais également les fabricants et les fournisseurs de services. Tous ces partenaires contractuels agissent en tant que spécialistes par rapport aux consommateurs et ils le font dans un but lucratif. C’est ce qui importe aux yeux du droit de la consommation. Il ne s’intéresse donc qu’aux relations contractuelles inégalitaires entre un particulier et une entreprise commerciale puisque c’est cette inégalité, présumée ou réelle, qui constitue sa raison d’être.

* texte révisé par Pierre-Claude Lafond

Ce contenu a été mis à jour le 19 avril 2009 à 14 h 18 min.